Dans un futur proche, la maison de production OPHIS tient le sujet de son prochain programme de télé-réalité : filmer la vie de Jésus Christ. Recréé génétiquement à partir des traces d'ADN du suaire de Turin, le clone du Messie grandit sous le regard avide des caméras et d'une Amérique subjuguée par ce qu'elle pense être la troisième Venue du Christ. Quelques années plus tard, l'expérience tourne court quand l'adolescent entre en révolte totale contre le système et devient le prophète d'une autre Amérique.

J'avais découvert ce comics lors des Utopiales 2013 durant lesquelles il avait gagné le Prix Utopiales européen, et son sujet avait immédiatement attiré mon attention. Malgré tout, j'ai mis pas mal de temps avant de le lire enfin.

Un producteur télé sans scrupule (pléonasme ?) décide de frapper un grand coup en créant une nouvelle émission de télé-réalité au long cours qui lui permettra de se démarquer de la concurrence : prélever l'ADN du Christ sur le Saint Suaire de Turin afin de le cloner et de suivre aussi bien la grossesse de la nouvelle Vierge Marie que la naissance et la vie de ce nouveau Jésus. L'annonce de cette émission déclenche de violentes réactions un peu partout dans le monde, notamment du Vatican, mais aussi des chrétiens évangélistes (après tout, l'histoire se déroule aux États-Unis...).La grossesse de « Marie » (Gwen) et l'enfance de Jésus (Chris) se déroulent donc sous l'œil des caméras, dans un environnement soigneusement contrôlé, mais, même dans ces conditions maîtrisées, le facteur humain reste incontrôlable, et le petit Jésus finit par montrer des tendances qui ne plaisent pas trop à la production, qui entend bien le faire réintégrer le moule religieux prévu pour lui.

Ce comics se déroule donc sur un temps long, et de ce fait le nouveau Jésus n'est pas forcément le personnage principal, même si tout tourne autour de lui ; la scientifique qui l'a cloné, Sarah, Gwen et Thomas, le garde du corps, ancien membre de l'IRA, sont des personnages centraux du récit. À côté d'eux, le producteur de l'émission et la chef de file des chrétiens évangélistes opposés à cette télé-réalité ont également une influence certaine sur le déroulement de l'histoire. J'ai trouvé que Chris, Sarah et Thomas étaient les personnages les plus construits, avec des révélations sur leur histoire personnelle bien amenées. À part le producteur qui est assez (trop ?) caricatural, les autres personnages sont également intéressants, mêmes quand ils ne sont qu'esquissés. Mention spéciale pour les personnages féminins qui sont tous variés et intéressants (et pas loin d'être majoritaires).

Ces nombreux personnages gravitant dans l'entourage de Chris sont essentiels, car ils s'affrontent, parfois ouvertement, parfois de façon plus feutrée, autour de l'éducation de l'enfant et de la moralité de l'émission. Ainsi, on voit vraiment à quel point ces différentes visions modèlent Chris et lui offrent la possibilité de se révolter. De plus, il est clair que Chris n'est pas un jouet docile qui se laisserait entraîner sur le chemin de la contestation, mais qu'il prend une part active dans son devenir, qu'il est curieux et ouvert.

En ce qui concerne la religion, qui est, avec la capacité d'évoluer, le thème central du comics, j'attendais son traitement au tournant puisque c'est un sujet qui me tient à cœur. Comme l'auteur l'explique dans la postface, il est né et a été élevé dans une famille chrétienne, mais il est devenu athée par conviction, et cela se ressent dans sa manière de traiter son sujet. On sent très bien  qu'il n'apprécie ni le dogme, ni le fondamentalisme, ni la manipulation de la religion. En ce qui concerne la foi, sa position est beaucoup plus ambivalente, mais je trouve cela normal car c'est du ressort de l'intime, et pas d'une structure établie qui s'arroge le droit de régenter la vie et la société. Au final, tout comme il met l'accent sur la possibilité de Chris de dévier de la voie qu'on voulait tracer pour lui, il favorise le choix personnel et la responsabilité individuelle face à une organisation rigide et autocratique. Bon point supplémentaire à mes yeux, Sean Murphy aborde également d'autres sujets très importants, comme le clonage ou le dérèglement climatique, sans faire de vagues, de façon très naturelle.

Concernant le dessin, j'ai beaucoup aimé le trait épais, nerveux, en noir et blanc. Il transmet très bien la douleur, la tristesse et la révolte des personnages.

Quant à la fin du comics, elle a beau être cruelle, elle n'en est pas moins logique et conclut parfaitement cette histoire.

En définitive, c'est une histoire que j'ai adorée, réfléchie, bien menée, cohérente, avec des personnages vraiment bien travaillés.