• Dr Adder - K. W. Jeter

    Dr Adder - K. W. Jeter

     

    Le Los Angeles de Blade Runner ?

    Un havre de paix bucolique à côté de celui qui attend E. Allen Limmit quand il quitte l'Unité de ponte de Phoenix - où les poules sont des poules au sens large du terme - pour rencontrer le célèbre docteur Adder.

    Sur l'Interface, c'est la guerre ouverte entre les macs du psycho-chirurgien, qui modèle physiquement les prostituées de la ville au gré des fantasmes les plus profonds de leurs clients, et les Forces morales de l'évangéliste vidéo John Mox. Dans les égouts, c'est la chasse aux fils prodigues, traqués par les pères de famille qui ont une façon bien à eux de tuer le veau gras pour fêter leur retour.

    Un livre terrible, cru, provoquant, dont Philip K. Dick dit, dans une postface datée de 1979, le bien immense qu'il en pense.

    J'avais découvert K.W. Jeter lors des Utopiales, et l'histoire de ce roman à tendance cyberpunk m'avait de suite interpelée : le manuscrit avait été écrit au début des années 70, et Jeter l'avait fait lire à Philip K. Dick en 1972, lequel l'avait adoré. Malheureusement, de par ses thèmes provocateurs, il sera refusé par tous les éditeurs jusqu'en 1984. Je n'ai donc absolument pas hésité lorsque je l'ai trouvé d'occasion chez Gibert Joseph (j'ai un faible pour la collection Présence du futur des éditions Denoël).

    Dans un futur qui reste assez nébuleux, E. Allen Limmit, employé d'une usine de poules de Phoenix, est envoyé par ses patrons à Los Angeles pour faire affaire avec le Dr Adder, figure tutélaire de l'Interface, grande avenue à la jonction de Los Angeles et d'Orange County et haut lieu de la dépravation la plus totale (prostitution, drogue, violence gratuite). Parce qu'il est l'incarnation absolue de l'amoralité de l'Interface, Adder cristallise tout à la fois la haine et l'adoration, et l'opposition entre ses adeptes et ceux de John Mox, un prédicateur rigoriste, tourne souvent à l'affrontement mortel. Dans cet univers pervers et violent, le jeune Limmit, élevé dans le cadre feutré et protecteur de l'Unité de ponte (bien que pas totalement exempt de perversions propres), se sent totalement paumé et se retrouve embarqué dans la folie qui possède l'Interface.

    L'élément le plus prégnant dans cette histoire, c'est très clairement le rapport au sexe, et cela se manifeste dès l'ouverture du roman : en effet, l'auteur cite un extrait d'une lettre d'un lecteur de Penthouse demandant à voir plus de femmes amputées dans le magasine, persuadé que cela plairait énormément. Suite à cette mise en situation pour le moins explicite, on se retrouve plongé dans l'Interface et son commerce du sexe bien particulier, dont le Dr Adder est la figure centrale. Les macs envoient les nouvelles prostituées chez ce dernier afin qu'il pénètre leur esprit pour découvrir leur plus profond fantasme ; une fois en possession de cette information, il les opère pour leur permettre d'atteindre cette « perfection ». Ainsi donc, les amputations ne sont pas les seules mutilations que l'on découvre en arpentant l'Interface, même si elles sont parmi les plus courantes et les plus lucratives, et l'imagination humaine se dévoile dans toute sa splendeur et son horreur le long de cette artère du vice. Mais les déviances sexuelles (qui sont la norme dans cet univers), ne se limitent pas à l'Interface, Los Angeles ou Orange County, et Limmit, malgré son air naïf, est lui aussi un pervers, du moins selon nos normes.

    L'autre caractéristique principale de cette Californie en déliquescence, c'est sa violence économico-sociale, qui se traduit par une grande pauvreté et une crasse omniprésente sur l'Interface et à Los Angeles, quand Orange County semble être relativement épargnée (même si la réalité est plus nuancée). On est véritablement face à un abandon total, et ce à tous les niveaux : il ne semble pas y avoir de gouvernement, local ou régional, la solidarité est absolument inexistante, c'est du chacun pour soi, y compris au sein même des familles, et règne partout la loi du plus fort. La société est donc totalement délitée, en décomposition, et rien dans le roman ne laisse supposer que quiconque ait envie d'y remédier.

    Au final, c'est à mes yeux un livre qui compte plus pour la forme, car au bout d'un moment j'ai fini par lâcher le fil de l'intrigue pour ne plus me concentrer que sur le cadre de l'histoire et mon ressenti. En tout cas, c'est un livre au style très particulier, et une lecture que j'ai appréciée.

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