• Nous autres - Eugène Zamiatine

    Nous autres - Eugène Zamiatine

     

    « ... On nous attache sur des tables pour nous faire subir la Grande Opération. Le lendemain, je me rendis chez le Bienfaiteur et lui racontai tout ce que je savais sur les ennemis du bonheur. Je ne comprends pas pourquoi cela m'avait paru si difficile auparavant. Ce ne peut être qu'à cause de ma maladie, à cause de mon âme. »

    Ainsi parle D-503, un homme des siècles futurs. Il vit dans une société qui impose fermement l'Harmonie sous la direction du Guide. Or, D-503, qui participe activement à l'expansion de cette organisation à l'échelle inter-planétaire, en arrive à l'autocritique, à la dénonciation, au rééquilibrage psychique.

    À force de lire les dystopies classiques, il fallait bien que je m'attaque à la première d'entre elles, celle qui a inspiré Huxley et Orwell, excusez du peu !

    D-503 est l'ingénieur en chef de l'Intégral, un vaisseau spatial qui va porter la parole de l'État Unique dans l'espace, afin que tous les humains puissent profiter de la civilisation la plus avancée, celle qui a aboli la liberté, qui gère les hommes comme des machines, qui a élevé la raison et les mathématiques comme art suprême et règle tout en fonction de ces deux derniers paramètres. Tous les numéros (car les hommes ne sont que des numéros faisant partie d'un ensemble plus grand, qui est le seul qui compte) sont invités à participer en écrivant des textes pour expliquer aux êtres d'ailleurs le bonheur qu'ils connaissent grâce à l'État Unique. D-503 veut également y participer, et c'est pour cela qu'il commence la rédaction de ses notes, qui forment le livre, afin de transmettre son expérience, son quotidien et son bonheur aux autres.

    Mais, bien sûr, les choses dérapent et D-503 commence à réfléchir hors du cadre, à se poser des questions, mais également à perdre la raison pour une femme. En fait, c'est cette dernière qui est le déclencheur de tout ce qui va lui arriver, et j'ai beaucoup aimé ce principe. En effet, à part dans Un bonheur insoutenable, l'amour n'est que très peu présent dans les dystopies, et même dans le roman évoqué, il n'est jamais un déclencheur de l'action. Alors que là, il a vraiment une place essentiel, et ce à plusieurs niveaux. C'est vraiment comme si la réflexion seule ne pouvait suffire à agir, à faire bouger les choses, mais qu'il fallait des motifs plus profonds, plus émotionnels, et des relations avec autrui fortes pour que l'on s'engage réellement.

    Le monde développé est à la fois original et réaliste, avec tous ces bâtiments construits en verre et qui interdisent l'intimité, ou avec le Mur, barrière qui protège la cité de l'extérieur non civilisé. La contrainte est diffuse, et il s'agit plus de dénonciation mutuelle, de surveillance de l'autre afin d'assurer son bonheur (encore une fois comme dans Un bonheur insoutenable) que de violence immédiate. Par contre, lorsque cette dernière s'exerce, elle est impitoyable, car un seul individu ne compte pas au regard de l'ensemble de la société, du « nous », et il doit être éliminé sans tarder s'il représente un danger pour la santé de l'ensemble, qui seul importe.

    On sent vraiment dans cette dictature qui ne dit pas son nom et son apologie de la raison mathématique, froide et implacable, le reflet de l'époque et de la société dans laquelle ce livre a été écrit (l'URSS, en 1920). C'est une très bonne anticipation de ce qui va effectivement se passer, et pas uniquement dans l'Union soviétique mais dans toutes les dictatures totalitaires du XX° siècle. Dommage que ce signal d'alarme n'ait pas été entendu.

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  • Commentaires

    1
    Mardi 9 Septembre 2014 à 12:00
    Ce livre est dans ma PAL... J'avoue que ça couverture neutre me décourageait un peu (on a l'habitude de livres plus "canons" ;) ) mais ce que tu m'en dis m'encourage... Je pense que je le ressortirai sous peu!
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