• Le cycle de Takeshi Kovacs, tome 2 : Anges déchus - Richard Morgan

    Le cycle de Takeshi Kovacs, tome 2 : Anges déchus - Richard Morgan

     

    Réenveloppé dans un corps conçu pour le combat tactique, Takeshi Kovacs est désormais un mercenaire engagé dans une guerre sanglante qui ravage la planète Sanction IV. Kovacs profite du conflit pour rejoindre un petit groupe qui essaie de s'approprier une découverte archéologique inestimable. Et, de fait, il est propulsé dans un maelström d'intrigues et de trahisons en comparaison duquel le conflit qu'il vient de quitter fait pâle figure.

    En effet, toutes les corporations tueraient pour cette découverte. Car elle risque de signifier la fin de l'humanité ou le début d'une nouvelle ère. Or dans ce XXVIIe siècle d'une humanité ravagée par la violence, les hommes sont bien mal préparés à l'héritage qui s'offre soudain à eux : les étoiles !

     J'avais lu le premier tome il y a de cela plusieurs années, et il m'avait donné envie de lire la suite, ce que j'ai mis beaucoup de temps à faire, mais ça en valait le coup. J'ai littéralement lu les 600 pages de l'édition de poche en 12 heures, autant dire que je n'ai pas décroché, et j'étais très déçue que ça ne dure pas plus longtemps.

     

    L'univers créé par Richard Morgan est vraiment un univers cyberpunk, et toutes les caractéristiques que j'espérais retrouver sont au rendez-vous : la société est dominée par les corporations qui ont le véritable pouvoir, les employés-corpo y sont intégrés à vie et la compétition entre eux est féroce, on trouve des corpo de différents niveaux, et toutes veulent rejoindre le club restreint des corpo qui font la politique (et toutes celles qui y sont parvenues savent collaborer aux mieux de leurs intérêts), la technologie est très en avance sur notre temps, notamment en ce qui concerne la médecine et les augmentations corporelles. Mais l'univers a aussi ses spécificités : la civilisation humaine est devenue galactique (une trentaine de planètes à été colonisée) même si le temps nécessaire pour parcourir les distances interstellaires reste très long, l'être humain est devenu potentiellement immortel principalement grâce aux piles corticales qui permettent de sauvegarder la mémoire et au transfert de conscience qui s'appuie sur cette technique et sur le clonage, mais surtout la guerre occupe une place prépondérante dans le cadre général de ce roman (en même temps, ce n'est qu'un prolongement logique des mécanismes du cyberpunk qui est déjà une guerre sociale extrême, mais c'est agréable de voir ce genre de développement par ailleurs trop rare). Enfin, les humains ont découvert l'existence d'une ancienne civilisation sur Mars qui est présente dans d'autres systèmes solaires de la galaxie, mais qui demeure très mal connue, et qui va se retrouver au centre de l'intrigue.

    L'intrigue, justement. Elle est simple et la quatrième de couverture la résume assez bien, même si je vais en donner ma propre version : Takeshi Kovacs, qui raconte son histoire à la première personne, est membre d'un groupe paramilitaire d'élite engagé dans une guerre sur la planète Sanction IV du côté du « gouvernement » officiel et des corpo pour lutter contre une révolution indépendantiste menée par un dénommé Kemp ; lors de sa convalescence suite à une grave blessure, un soldat lui propose de participer à la découverte d'un vestige archéologique martien qui pourrait lui rapporter plus que gros ; il va ensuite falloir trouver des financements et une équipe pour monter l'expédition. Très rapidement, c'est comme si les personnages n'avaient pas vraiment de prise sur le déroulement des évènements mais n'avaient d'autres choix que de composer avec les circonstances et les actions de personnages extérieurs qui vont influer sur leur mission. Et malgré cet enchaînement des évènements, je n'ai pas trouvé l'intrigue précipitée, au contraire ; on suit vraiment le quotidien de la mission d'exploration, et on dispose de toutes les clés pour comprendre les dessous de l'intrigue, à condition d'y faire attention. La résolution de l'intrigue est amenée au moyen d'un dialogue, solution classique mais qui passe bien dans le contexte, et est globalement satisfaisante.

     

     Il y a énormément d'aspects de ce roman qui m'ont plu, et je vais en faire un compte-rendu un peu détaillé.

    Le roman se déroule au XXVII° siècle, et je m'attendais donc à une culture différente de la nôtre, et sur ce point je n'ai pas été déçue, notamment en ce qui concerne les références culturelles internes. L'auteur a fait un bon travail à ce sujet, et ça a beaucoup facilité mon immersion car à mon sens cela donne plus de profondeur et plus de corps à ce futur, tout en évitant l'étrangeté qui me vient à chaque fois que je croise des références modernes dans un univers très distant dans le temps.

    Les martiens m'ont beaucoup intriguée, surtout qu'on sait au final très peu de choses sur eux, l'archéologue de l'équipe le reconnaissant elle-même facilement. La seule chose dont on peut être certain, c'est qu'ils ne sont pas humains, et qu'on ne peut donc pas calquer nos prismes humains sur leur civilisation. Il faut essayer de penser autrement pour comprendre, analyser les vestiges qu'ils ont laissés pour y deviner des indices d'organisation sociale, pour saisir leur mode de fonctionnement. Ce point de vue n'est en réalité pas le plus répandu parmi la communauté scientifique, et les paroles de l'archéologue laissent deviner une furieuse guerre de convictions dans la profession. En tout cas, les mystères planant autour des martiens sont intrigants, et ils pourraient sans problème fournir l'intrigue de plusieurs suites. Mais ce qui apparaît en filigrane ici est une vraie réflexion sur l'altérité, notre capacité à la percevoir et à la comprendre que j'aime beaucoup.

    J'ai vraiment apprécié la place donné aux femmes dans le récit, surtout dans ce cadre militaire : on compte à peu près autant de femmes que d'hommes dans le groupe monté pour accomplir la mission, iels ont tou-te-s été recruté-e-s en raison de leurs compétence, et celles-ci sont utilisées tout au long de l'histoire. Il y a certes plus d'hommes que de femmes parmi les gradés, mais j'ai été agréablement surprises de découvrir des femmes là où j'imaginais des hommes, juste parce que l'information à propos de leur genre était donnée au moment opportun et pas uniquement pour montrer qu'il y avait des nanas et bien présenter. En plus de ça, la mixité dans les forces armées semble totalement naturelle et il n'y a aucun indice de remise en cause ou de questionnement de cette situation dans le roman. Kovacs a à plusieurs reprises des relations sexuelles, et les descriptions qui en sont faites sont vraiment sympa, accordant autant d'initiative et de plaisir à ses partenaires qu'à lui-même, et ne se limitant pas à la pénétration. C'est d'autant plus agréable que le roman est écrit par un homme.

    Pour rester dans la notion de représentativité, les personnages ont des origines ethniques variées, à commencer par le protagoniste principal qui a un prénom japonais, un nom slave, et est dans un corps noir. Les autres personnages sont aussi divers, 'et cela peut s'expliquer par les brassages et réorganisations de populations au cours de la colonisation spatiale, ainsi que par la pratique du réenveloppement. J'ai vraiment eu l'impression d'être dans une société ayant réussi à sa débarrasser du racisme, mais j'attends de voir la situation dans le troisième et dernier tome pour me faire un avis plus affirmé sur la question.

    L'auteur aborde également un thème que je n'attendais pas forcément, à savoir les croyances, et cela sous différents aspects : la religion, la foi, mais aussi la philosophie politique. La religion ne paraît pas occuper une grande place dans la vie des personnages, et plus largement des sociétés humaines présentées, mais la foi n'a pas disparue, loin de là ; en fait, ce qui semble le plus faire vibrer les gens, ce sont les théories politiques. C'est est à tel point que le Protectorat qui lutte sur Sanction IV contre la rébellion de Kemp a mis en place des commissaires politiques dont le but semble être de traquer tous les comportements kempistes, mais aussi juste hostiles au Protectorat, et les militaires ne sont pas épargnés par cette « inquisition ». Au-delà de cet aspect, je trouve ça cool, vu la diversité des personnages, que la seule religion évoquée et pratiquée dans le roman soit une évolution du vodoun. En dehors de ce cas, l'auteur évoque rapidement les autres religions, mais pour parler des réactions suscitées par la découverte des vestiges martiens, des caractéristiques de ces derniers et de leur impact immédiat sur les sociétés humaines.

     

    Par contre, malgré le plaisir que j'ai eu à lire cette histoire, je dois bien aborder le gros point noir de cette édition :le travail éditorial de Bragelonne/Milady !!! On voit bien que la traduction a été faite au lance-pierre, probablement par manque de temps et de moyens alloués au traducteur, et je ne sais même pas si le texte a été relu. Résultat, on se retrouve avec des phrases bancales ou des mots redoublés, et même un « nitrogène » au lieu de « azote », comme dans une traduction de SF bâclée des années 60. En plus, il y a des problèmes de cohérence des temps, surtout l'articulation passé simple/passé composé, ce qui est plus que gênant, d'autant plus dans un récit à la première personne.

     

    En fait, ce que je retiens tout particulièrement de cette lecture que j'ai adoré, c'est : « tout ça pour ça ? ». Probablement en raison de l'environnement guerrier de l'histoire, je trouve que l'auteur questionne la notion d'absurdité, et cela se retrouve jusqu'à la fin du roman, puisque même si l'intrigue principale est résolue, on ne sait absolument rien de l'issue de la guerre sur Sanction IV et que cette question n'intéresse aucun des personnages, mais on n'en sait toujours pas plus sur les martiens non plus (et vu la déconnexion entre le premier et le deuxième tome du cycle, je doute fortement d'obtenir des réponses dans le troisième tome). Mais ce sentiment d'absurdité est pour moi positif car tout ce qui ressort de cette histoire et de la guerre en général, c'est un immense gâchis, dont le seul but est d'enrichir encore un peu plus ceux qui sont déjà riches.

     

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