• La Saga d'Illyge - Sylvie Bérard

    La Saga d'Illyge - Sylvie Bérard

     

    « Naître à Saga, c’est surgir en plein désordre. C’est apparaître entre les cuisses de sa mère au fond d’un appartement obscurci par une nouvelle panne, c’est apprendre très tôt à éviter les dispensaires indigents qui portent le nom nostalgique d’hôpitaux, c’est accepter très jeune de demeurer intouchable pour le reste du monde, c’est se résoudre à demeurer isolée dans un espace enclos aux dimensions démesurées…

    Grandir à Saga, c’est apprendre à ne jamais apprivoiser le silence. C’est connaître la solitude dans tout ce qu’elle a de cliché : perdue au milieu de la foule. C’est connaître très peu le soleil, parce que ses rayons franchissent mal la brume opaque qui enchâsse la Cité, c’est vivre sous la chape de nuages poussés depuis les Périphes jusqu’au Cœur urbain, c’est se familiariser très vite avec la saleté, la détresse et la gloire passée des monuments décrépit… »

    Celle qui parle s’appelle Illyge Raimbault, et c’est la performeuse la plus sulfureuse de Saga. Pas plus que la majorité des Citéens, contrairement aux Périphéens venant s’encanailler dans l’Arrondissement rouge, elle ne peut quitter le Cœur urbain. Illyge habite un ghetto, une prison. Est-ce pour cette raison qu’elle est devenue accro à l’élyx, la nouvelle drogue qui sévit dans la Cité ?

    Selon les autorités, l’artiste est morte d’une overdose et c’est un jeune Périphéen, Idrisse Sainmarc, qui a découvert son cadavre. Mais Idrisse n’est pas d’accord : si le visage était bien celui d’Illyge, le corps était manifestement celui d’un homme ! Têtu, défiant les autorités, Idrisse décide de retrouver la performeuse. Dès lors, sa vie à Saga devient un enfer, mais il n’en a cure, car très vite il se sait sur le point de découvrir une réalité qui risque de changer à jamais l’avenir de l’Humanité !

     

    Encore une fois, c'est grâce aux Utopiales que j'ai découvert Sylvie Bérard et eu envie de lire ce roman. Et, comme presque à chaque fois, je n'ai pas été déçue !

    Le roman est raconté à plusieurs voix, selon les personnages qui parlent (principalement Illyge et Idrisse), le style changeant pour chacun, ce qui permet de bien les caractériser, La mise en place pour arriver à la situation évoquée par la quatrième de couverture (Idrisse découvrant le cadavre d'Illyge, ou ce qui semble être son corps) est assez longue, mais elle met parfaitement dans l'ambiance, sait faire vivre Saga, le malaise d'Illyge et sa chute dans la drogue, ses tendances autodestructrices à travers ses performances, l'indécision d'Idrisse, son inadaptation aux Périphes tout comme aux Cités... Bien sûr, difficile d'en dire plus sans poiler, mais l'histoire se révèle complexe, quoi que très claire dès que les divers personnages nous donnent les informations, les tenants et les aboutissants, et ce qui n'est pas dit est très facilement devinable.

    J'ai beaucoup aimé l'univers créé qui associe dystopie dans les Périphes (bien qu'il existe différents types de Périphes), et le côté cyberpunk des Cités. Mais déjà, quelques explications sur les Cités et les Périphes : les Cités sont des zones urbaines en déliquescence, totalement abandonnées par l'administration, à part la police qui a tous les droits et obéit très souvent aux dirigeants des Périphes. La pauvreté, la violence, les drogues y règnent en maître, même si la situation n'a pas toujours été aussi désastreuse, et si certaines personnes essayent toujours de combattre cet état de fait. À l'opposé, les Périphes sont riches, policées, avec une éducation de très haute qualité ; elles se présentent comme des paysages bucoliques, des collines, des bosquets d'arbres, etc., toutes les habitations à demi enterrées étant dissimulées sous des hologrammes. Et de nombreux Périphéens vont en balade dans les Cités pour s'offrir le frisson de l'interdit, du sexe crade et des performances glauques d'artistes tels qu'Illyge. Et si les Périphéens peuvent aller et venir à leur guise, les Citéens n'ont pas le droit de sortir de leur Cité, sauf exception, les Périphéens ne voulant pas être contaminés par ces rebuts du genre humain. Les relations entre Citéens et Périphéens sont très bien explorées et rendues par Sylvie Bérard, sans caricature ni angélisme. Et, chose étonnante, elle parvient à nous faire entrer dans l'esprit de ses personnages sans que jamais il n'en ressorte un quelconque jugement sur les Cités ou les Périphes ; ce ne sont que des faits, des impressions, bruts, sans analyse sociale, ce qui laisse la possibilité au lecteur de se faire lui-même son avis.

    Un autre sujet que Sylvie Bérard aborde sans jamais le juger est celui de la sexualité et de l'identité sexuelle : Illyge est bisexuelle, Idrisse est homosexuel, le meilleur ami d'Illyge est un travesti qui sort avec un transsexuel... Mais tout cela est à peine évoqué, c'est tout à fait naturel et ne suscite aucun commentaire de qui que ce soit.

    Au final, c'est un roman complexe, abouti et profond, même s'il n'est pas clairement militant ou engagé. C'est plus une porte ouverte sur la réflexion personnelle, ce que j'aime beaucoup.

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