-
L'évangile cannibale - Fabien Clavel
Aux Mûriers, l'ennui tue tout aussi sûrement que la vieillesse. Matt Cirois, 90 ans et des poussières, passe le temps qu'il lui reste à jouer les gâteux. Tout aurait pu continuer ainsi si Maglia, la doyenne de la maison de retraite, n'avait vu en rêve le fléau s'abattre sur le monde. Et quand, après quarante jours et quarante nuits de réclusion, les pensionnaires retrouvent la lumière et entrent en chaises roulantes dans un Paris dévasté, c'est pour s'apercevoir qu'ils sont devenus les proies de créatures encore moins vivantes qu'eux. Que la chasse commence...
J'étais tombée par hasard sur ce roman au Salon du livre de Paris, et j'avais été de suite emballée. Franchement, des vieux et des zombies, comment ne pas s'éclater avec ça ?L'histoire est racontée à la première personne par Matthieux Cirois, 90 ans, abandonné en maison de retraite par sa deuxième femme et leur fille. C'est un vieil acariâtre, pas tendre avec le personnel de la maison de retraite ou avec les autres pensionnaires, et qui se révèle vite être un peu paranoïaque. Il nous apprend rapidement qu'il raconte ses journées à un dictaphone, ce qui permet de se demander si l'on lit ce qu'il dit directement, ou s'il s'agit d'une retranscription, et dans ce cas-là par qui elle a été effectuée. Matt nous déroule donc son récit au fur et à mesure des jours qui passent, et on suit avec lui, à son rythme l'aventure du groupe de petits vieux et d'un aide soignant trisomique dans les rues d'un Paris du futur. Au début, rien d'autre que l'absence de toute vie, l'odeur du gaz lacrymogène et celle des poubelles. Jusqu'à la première rencontre avec un zombie et les débats parmi les petits vieux pour déterminer ceux à quoi ils ont affaire, souvenirs des films de Romero à l'appui.
Car les vieux de L'évangile canniable ne sont pas nos vieux à nous, l'histoire se déroulant approximativement en 2040. Ils ont de nombreuses références qui nous sont communes, et cette connivence avec le lecteur est bien sympa. Cette projection dans l'avenir donne l'occasion à l'auteur de développer un contexte géo-politique à tendance pré-apocalyptique, ainsi que d'envoyer quelques scuds à la société actuelle (la référence au président de la République d'origine hongroise m'a bien fait rire). Elle permet aussi de donner une explication plausible à l'origine de l'épidémie de zombie. Enfin... on ne peut être sûr de rien, car on ne connait que les déductions faites par Matt ; à nous ensuite de décider si on les accepte ou non.
Une grande partie du livre repose justement sur ces incertitudes dues au récit à la première personne. Car Matt n'est pas vraiment quelqu'un que l'on peut croire les yeux fermés. Acariâtre, oui, mais aussi du genre paranoïaque, et son délire ne fait que s'amplifier au fur et à mesure du roman, jusqu'à finir en apothéose. Cette prégnance du point de vue du narrateur s'impose jusque dans la typographie, avec l'absence de tiret pour indiquer les tours de paroles, l'absence de majuscule à certains mots qui devraient en avoir, et leur présence pour d'autres qui n'en ont pas forcément besoin. Cela rend vraiment compte de la vision du monde de Matt, de ses valeurs, de ses animosités.
Car ces petits vieux sont humains, terriblement humains, avec leur caractère bien trempé, leurs querelles, leur point de vue sur le monde qui les entoure. On est très loin d'une image lisse des anciens. Et ce d'autant plus que l'auteur s'amuse à mettre en parallèle la déliquescence de leur carcasse avec la putréfaction des zombies, aspergeant les pages de bave, d'urine et de merde.
Comme toujours dans les histoires de zombies ou de post-apo, je me demandais de quelle façon l'auteur allait terminer son roman, et il y parvient très bien, répondant à certaines questions soulevées tout au long de l'histoire, tout en laissant les principales sans réponse, mais permettant au lecteur d'échafauder tout un tas d'hypothèses.
En plus, bonus commun à tous les livres d'ActuSF, on retrouve à la fin un entretien avec Fabien Clavel qui permet d'apporter des détails intéressants sur l'histoire, et peut-être de redécouvrir certains de ses aspects ignorés à la première lecture.
Tags : Horreur, Fabien Clavel
-
Commentaires