• Grendel - John Gardner

    Grendel - John Gardner

     

    Grendel qui narre l'épopée de Beowulf du point de vue du monstre, s'est imposé en moins de quarante ans comme un des grands classiques de la fantasy anglo-saxonne. Court, brutal, d'un humour ravageur, ce conte philosophique frappe le lecteur avec la force d'une comète, dans l'éblouissement.

    Après avoir lu le poème Beowulf, j'avais envie de m'attaquer à cette réécriture de l'histoire, cette trahison, du point de vue du monstre.

    Grendel raconte donc son histoire, parlant de lui, de la vie avec sa mère dans leur caverne souterraine, cachée par le lac aux serpents de feu, puis de sa découverte du monde nocturne, sa rencontre avec les hommes, sa guerre avec Hrothgar, puis enfin son combat contre Beowulf. À l'image du poème qui fait de réguliers retours dans le passé, Gardner revient aux origines de la saga et nous fait partager les pensées de Grendel, sa vision du monde, son évolution. Au milieu de cette vie, Beowulf n'est pas grand chose, qu'une vision fugace, un accident, mortel certes, mais sans plus.

    Ce qui compte vraiment, c'est les rapports de Grendel. Car, avec sa mère, il est le seul de son espèce, et cette solitude lui pèse, lui fait se poser des questions. Cela est encore renforcé par sa rencontre avec les hommes, dont il remarque que le langage est proche du sien, et qu'il parvient à les comprendre. Ils exercent sur lui une véritable fascination, même s'il les tue, car telle est sa nature. Et sans la renier, il cherche tout de même parfois à la dépasser, à se rapprocher des hommes, à avoir avec eux des rapports autres que violents. Mais il n'est qu'un monstre aux yeux des hommes, et sa vision répand l'horreur et la terreur. Cette exclusion systématique ne le rend que plus amer, mais aussi plus avide de la présence des hommes, de même que ces derniers ne peuvent plus se passer de sa présence tutélaire, car il représente l'animalité, la barbarie, tout ce qu'ils ne sont pas, ou prétendent ne pas être. Il y a un jeu de miroir constant entre eux, un dialogue muet, qui les entraîne tous vers l'abîme car ils ne connaissent que la destruction mutuelle.

    En fait, ils sont tous fous, Grendel comme les humains, fous de n'être rien que des accidents de la vie, sans aucune raison de vivre, sans plan supérieur, sans but transcendant. Rien d'autre que des animaux poussés par leurs instincts, soumis au hasard, sans prise sur leur environnement et leur vie. Et tout est bon pour remplir ce vide démentiel.

    Beowulf est lui aussi atteint par cette folie, personnage sans nom dans le roman, remarquable entre tous par son absence de barbe, aux yeux déments, à la vision du monde façonnée par les mots. Car pour lui, et en cela il rejoint le Barde, mais aussi Grendel à certains moments de son évolution, ce sont les mots qui créent le monde, la réalité, et rien n'existe qui n'a pas été nommé. Encore une tentative de s'approprier le monde, de le rendre plus compréhensible. Et de s'opposer aux animaux, aux monstres, Grendel qui ne parle pas comme les hommes, et sa mère qui ne parle pas du tout.

    À la fin du roman, une préface de Xavier Mauméjean permet d'en apprendre plus sur l'auteur, son histoire, son œuvre, et de relier ça au texte de Grendel. Ces apports sont très intéressants et représentent un vrai plus pour la compréhension du texte et des intentions de Gardner.

    En définitive, cette lecture est un vrai plaisir, bien qu'un peu ardue, et apporte un contrepoint plaisant et enrichissant à la lecture de Beowulf.

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