• Furor - Fabien Clavel

    Furor - Fabien Clavel

     

    Rien n'a jamais préparé les soldats d'Auguste à l'enfer de la Germanie : la pluie, le froid, la boue, les maladies, la hargne des Chérusques dont les attaques éclair déciment les troupes. La forêt de Teutoburg a déjà avalé trois légions et elle n'est toujours pas repue. Mais, pour cette poignée de Romains en déroute réunis par les circonstances, un espoir demeure : peut-être pourront-ils trouver refuge dans cette étrange pyramide, noire comme l'obsidienne, dressée au milieu du bourbier. Est-ce là le séjour d'un dieu ? Ces gens pacifiques et monstrueux qui hantent son abord sont-ils ses disciples ? Quel est ce curieux signe hélicoïdal répété à l'envi sur chacune de ses parois ?

    J'avais découvert ce livre par hasard, en furetant en librairie, et voir un livre se passant en 9 ap JC être associé à de la SF avait attisé ma curiosité.

    Le livre suit quatre personnes liées aux trois légions envoyées en Germanie : Longinus, un vénateur (c'est à dire un soldat chasseur), Marcus, un centurion, Caius Pontius, tribun de la XIX° légion, et Flavia, une Germaine capturée enfant et faisant partie de la vague de prostituées suivant l'armée. L'auteur alterne son récit entre ces quatre personnages, nous donnant à voir les divers aspects d'une armée en marche, l'ignorance du simple troufion, les responsabilités limitées de l'officier lamba, la charge qui pèse sur les officiers supérieurs, l'indifférence des civils qui vivent de l'armée, comme un parasite. C'est aussi l'occasion de multiplier les points de vue au fur et à mesure que l'intrigue se développe, et ce d'autant plus que Fabien Clavel nous livre leurs pensées d'une façon très particulière : la narration à la troisième personne alterne avec l'expression des pensées brutes des personnages, présentées en italique et sans aucune ponctuation ; on suit le flot de l'esprit qui ne forme pas de phrases, qui organise les pensées de façon aléatoire. C'est assez surprenant sur le coup, mais j'ai beaucoup aimé le rythme que cela imprimait au récit, comme une litanie interminable, une ivresse de mots, une auto-hypnose.

    Si ce n'était l'époque à laquelle se déroule le récit, l'aspect science-fiction serait plus scientifique que fictionnel car tout ce que raconte l'auteur, ou presque, est bel et bien réel à notre époque. D'ailleurs, la quatrième de couverture donne des indices sur ce dont il s'agit, mais je n'en dirai rien ici car c'est un aspect important du mystère entourant la pyramide et il vaut mieux le découvrir par soi-même. Toutefois, pour quelqu'un d'un minimum informé, les indices semés dès les premières pages du roman sont assez évidents, et même si Clavel ne nomme jamais directement ce à quoi on a affaire, puisqu'il reste dans une optique I°s ap JC, c'est de plus en plus clair au fur et à mesure que l'on avance dans le récit. D'ailleurs, il ne donnera jamais d'explication à la présence de cette chose à cet endroit et à cette époque, car son propos n'est pas là.

    Pour moi, ce roman c'est avant tout une réflexion sur l'ignorance et l'impossibilité d'envisager une certaine réalité si l'on n'a pas les outils mentaux pour l'appréhender. En effet, le lecteur comprend parfaitement ce que cache la pyramide, mais les quatre personnages n'en savent rien, ne le comprennent pas, et l'analysent à l'aune de leurs connaissances, de leurs références. Le décalage créé est très intéressant et très pertinent, car on plonge effectivement avec eux en enfer ; mais pas l'enfer auquel ils peuvent penser.

    Petit plus très appréciable, Fabien Clavel a rajouté à la fin du roman un appendice pour situer historiquement son récit, pour apporter des précisions terminologiques, donner ses sources, et expliquer la construction de son livre sous la forme d'une tragédie romaine : la première partie est celle de la douleur du héros, puis vient la folie furieuse, pour s'achever par un crime impie. Cette explication permet de jeter une nouvelle lumière sur le roman, qui peut vraiment proposer plusieurs niveaux de lecture.

    C'est donc une très belle découverte, et la preuve que lorsque cela est bien pensé, la SF peut s'associer à n'importe quelle époque historique.

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