• Fées, weed & guillotines - Karim Berrouka

    Fées, weed & guillotines - Karim Berrouka

     

    La dernière fois que Jaspucine a mis un pied dans le monde des hommes, elle en a littéralement perdu la tête : la Révolution française n'a pas été une période très profitable pour les créatures féériques. Sauf pour Zhellébore, l'enfoirée qui l'a envoyée à l'échafaud. La vengeance étant un plat qui se mange froid, Jaspucine est bien décidée à retrouver la traîtresse. Même si pour cela elle doit s'attacher les service d'un détective. Mais à force de remuer ciel et terre, c'est sur une conspiration bien plus grande que la fée et l'enquêteur vont tomber.

    Avant d'entamer ce bouquin, je n'avais lu qu'un livre de Karim Berrouka, Les ballons dirigeables rêvent-ils de poupées gonflables ?, mais c'est toujours cool de l'entendre aux Utopiales et j'aime beaucoup son côté amuseur, rien à foutre, qui n'empêche pas la réflexion. Et la quatrième de couverture de Fées, weed & guillotines correspond bien à l'image que j'ai pu me faire de lui.

    On commence donc notre histoire avec Jaspucine, qui revient sur Terre pour la première fois depuis la Révolution française et sa mort sur la guillotine, et le moins que l'on puisse dire c'est qu'elle est assez désarçonnée par l'évolution de la société en un peu plus de 200 ans (les interphones, c'est une drôle de magie, et elle ne connait pas l'utilité de l'ascenseur). Ceci, combiné à un caractère qui n'est pas ce qu'on peut appelé facile, donne un mélange détonant qui laisse notre détective (affublé du doux prénom de Marc-Aurèle) pantois, mais ne lui enlève pas pour autant sa répartie mordante (« Les problème est que les assignats, aujourd'hui, ça a autant de valeur qu'un autographe de Justin Bieber au Hellfest. »). Toutes réserves mises à part concernant le comportement pratiquement délirant de Jaspucine, Marc-Aurèle Abdaloff accepte la mission qu'elle lui confie : retrouver la femme qui apparaît sur trois portraits différents, d'époques différentes (du Moyen Âge à la Révolution), mais qui arbore toujours le même sourire sadique. Cette requête lance Marc-Aurèle à la recherche de Zhellébore, une fée encore plus déglinguée que Jaspucine, alors même qu'elle a conservé la tête sur les épaules, et sur la piste d'un complot féérique qui vient foutre la merde dans le monde des humains.

    Ce roman est très clairement un pastiche des romans noirs, et en réutilise la plupart des stéréotypes : le détective qui s'emmerde et cherche une affaire qui sorte de l'ordinaire, détective qui a des accointances marquées avec au moins un flic, de préférence gradé, le flic accommodant, la grosse brute, la femme fatale, l'enquête menée hors des clous... Mais Karim Berrouka ne s'appesantit pas sur ces éléments et les utilise avant tout de façon humoristique, et pour mieux explorer le thème de la fantasy urbaine.

    À ce sujet, les fées du roman sont loin de l'image habituelle qui en est donnée, qu'on se situe du versant de la bonne fée ou de la mauvaise. Là, on est plutôt dans la fée irascible qui se fout totalement de l'espèce humaine. Toutefois, on garde bien l'idée des fées entourant le berceau de la princesse : en effet, si elles viennent sur Terre, c'est uniquement pour des histoires de mioches, mais pas exactement comme on pourrait s'y attendre. En effet, les fées sont tout sauf du genre maternel, les gosses les font royalement chier, ça pleure, ça crie, et elles préfèrent éviter de s'en occuper. À la place, elles préfèrent les remplacer avec des gosses humains, plutôt de bonne famille (genre un prince, pour conserver le même standing), envoient les gamins humains chez les nains, et quelques unes d'entre elles restent auprès du rejeton féérique comme nourrice pour s'assurer qu'il ne lui arrive pas d'emmerde. Elles sont quand même sympa avec les humains, puisque quand elles considèrent que la jeune fée est assez âgée, elles la rééchangent avec le petit humain et chacun rentre chez soi. En plus de ça, les fées sont organisées en société matriarcale et font preuve d'un sexisme très prononcé. Les autres créatures magiques qui apparaissent dans le roman sont elles aussi originales, mais la caractéristique qui les rassemble toutes, c'est bien leur réaction dès qu'elles sont exposées à la weed, qui devient une véritable arme entre les mains des humains.

    Au-delà de ce traitement très original des fées, le roman est vraiment très drôle. En plus des répliques bien sentie de Jaspucine, de nombreux personnages sont amusants, que ce soit dans leurs paroles ou dans leurs actes. Sur ce point, mention spéciale au Premier de la classe qui est en décalage constant avec le monde dans lequel il déambule ce qui, combiné à son érudition, en fait clairement un de mes personnages préférés. Les institutions policières sont aussi moquées (pas méchamment, on sent que c'est avant tout du délire) par des sigles détournés : Bureau des Crimes Exceptionnels et Agence Nationale de la Police d'État.

    Tout ça donne une lecture très amusante, avec une intrigue solide qui se déroule parfaitement. Ce roman confirme ma bonne impression des écrits de Karim Berrouka, mais lorgne aussi plus vers le côté délire de Ludwig Von 88 que son recueil de nouvelles, ce qui se confirme dans son roman suivant Le club des punks contre l'apocalypse zombie dont la chronique viendra quand je serai motivée !

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  • Commentaires

    1
    Jeudi 23 Mars 2017 à 12:14

    J'ai découvert Berrouka par hasard et je guette avec impatience un nouveau roman de cet auteur "inclassable" ! J'adore son écriture, son humour et son regard sur la société qui nous entoure .... Pressée de lire ton avis sur "Le club des punks ..." que j'ai adoré !!! ;-)

      • Jeudi 23 Mars 2017 à 12:50

        Je suis comme toi, j'ai hâte de lire sa prochaine production, je veux profiter de son humour et de son regard acéré (je dis ça, mais il y a une nouvelle de sa main dans le recueil de la Volte qui vient de sortir Au bal des actifs - Demain le travail que j'ai déjà commencé !).

        Et je rédige ma chronique sur Le club des punks dès que possible ^^

    2
    Vendredi 5 Mai 2017 à 12:39

    J'ai beaucoup aimé également, c'est fun, c'est rafraichissant !

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